Le dossier du trimestre

 

Stratégies de territorialisation et optimisation du budget (Par Jean-Luc POUTS, Culture et Territoires)

 

 

Notre position face aux actuels constats

 

Les Département et les Régions se trouvent face à une situation où se conjuguent deux difficultés majeures : l’augmentation significative des charges et la modestie des transferts de ressources de l’Etat.

 

Dans cette situation, les collectivités territoriales sont soudainement confrontées à la remise en cause des politiques qu’elles avaient patiemment mises au point dans le cadre de leur clause de compétence générale.

 

Bien des politiques culturelles se trouvent ainsi soudainement remises en cause face à des restrictions affectant en premier lieux les compétences non obligatoires.

 

Dans ce contexte, où il n’y a d’autres choix que celui d’une gestion repensée, nous suggérons de combiner quatre démarches pour chercher à faire tout aussi bien avec des moyens restreints :

 

  • Optimisation des modalités d’intervention (grâce à de nouveaux équilibres entre les différentes formes de l'aide),
  • Mise en place d'une nouvelle « géographie d’intervention territorialisée » (d'où l'intérêt de la spatialisation),
  • Redéploiements des crédits dans une logique faisant sens (conformément à des compétences clairement définies),
  • Transversalité accrue permettant d’abonder vers la culture à travers les compétences obligatoires (sociales, économiques, etc.).

 

Bien entendu, chacune de ces démarches requiert une méthode particulière et une approche respectueuse de l'initiative de terrain.

 

Par ailleurs la combinaison de ses outils oblige, au cas par cas, à un examen approfondi du contexte territorial, de l'architecture de la politique culturelle et également à des simulations financières capables d'éclairer les intérêts de tel ou tel scénario.

 

D'où partir ?

 

L’inventivité des Départements et des Régions s’est manifestée avant que la crise ait révélé toute sa profondeur. L’expression de "territorialisation" exprime en ce sens l'intention des collectivités territoriales d'offrir une réponse à trois constats : 

 

  • Les financements croisés ne présenteraient, dans bien des cas, qu'une efficacité limitée,
  • Le « modèle de croissance budgétaire » systématiquement emprunté depuis une décennie deviendrait désormais intenable,
  • Les territoires ne seraient pas suffisamment soutenus, voire stimulés, alors que ce sont les plus à même d'organiser une nouvelle cohérence.

 

Face à cela, et en particulier pour lutter contre les effets indésirables du saupoudrage, les Régions et Départements ont imaginé des solutions sur deux plans distincts :

 

  • Premièrement, il s'est agi de faire entrer la culture dans les contrats d'aménagement et de développement des territoires. Ce sont surtout ici les investissements qui ont été visés au motif que les équipements culturels devraient procéder d'un schéma d'aménagement conçu globalement. Il faut remarquer, d'une part, que les contrats n'ont qu'accordé qu'une place limitée à l'action et que, d'autre part, la contractualisation culturelle a toujours souffert de difficultés dues à la segmentation des services au sein des collectivités.

 

  • Deuxièmement, les directions de la culture ont, chacune à leur manière, promu des dispositifs visant à s'affranchir de politiques jugées comme étant "trop sectorielles" au profit de logiques soit plus "transversales", soit clairement "territoriales". Mais ici trois difficultés se sont présentées : celle de concilier, dans un même programme, des dispositifs sectoriels, transversaux et territoriaux ; celle de s'appuyer sur une configuration territoriale homogène et constituée de maîtrises d'ouvrage viables (intercommunalités dynamiques) ; et celle de disposer d'une connaissance parfaite de chacun des territoires concernés (ce qui renvoie à la question de l'observation territoriale).

 

On identifie bien ici les thèmes selon lesquels agir pour faire évoluer l'efficacité de la territorialisation des politiques culturelles. D'ailleurs, si les collectivités ne partagent pas forcément la même définition de la territorialisation, leur expérience de la coopération avec les territoires (à travers de multiples formules) permet d'apporter un recul précieux dans la recherche de systèmes de contractualisation et de conventionnement plus performants (alors que toutes les formules n'auront pas apporté les résultats escomptés en termes de cohérence de l’action culturelle ou de mutualisation des moyens).

 

Pour autant, une question reste en suspens : ne faut-il s'en remettre qu'aux systèmes de coopération avec les territoires pour espérer optimiser le budget culturel des Départements et des régions ?

 

Nous pensons pour notre part que l'idée de territorialisation est une clef permettant de combiner les démarches proposées plus haut, mais à la condition de se forger une conception plus large de la notion – pour en faire une dimension de l'action publique et non pas seulement un outil. 

 

Vers une approche élargie de la territorialisation

 

Dans l'esprit des collectivités territoriales, la coopération avec les territoires est un moyen d'obtenir de meilleurs résultats en s'appuyant sur la capacité des territoires à organiser la cohérence de l'action culturelle.

 

Dans cette logique, la territorialisation passerait essentiellement par une contractualisation (contrat de développement) ou par un conventionnement "culture"  duquel on attendrait un "effet levier".

 

Pour notre part, nous proposons d'ouvrir les perspectives offertes par l'action territorialisée aux fins d'une gestion plus "stratégique" et plus rationnelle de la politique culturelle.

 

Pour cela, une distinction pourra être opérée entre les notions suivantes :  

 

  • Territorialisation : s'exerçant par voie contractuelle, elle est aussi l'occasion de repenser les équilibres entre modalités d'intervention (subventions aux projets, apports en ingénierie, apports en industrie, actions menées en direct…) ; et cela pour organiser les complémentarités entre partenariats territoriaux et interventions sectorielles,

  • Contextualisation des aides sectorielles aux porteurs de projets : grâce à une connaissance plus approfondie des territoires, on pourra moduler l'accompagnement financier en fonction des enjeux réels touchant les espaces départementaux et régionaux et en fonction des configurations de territoire.

  • Approche territorialisée des « compétences partagées » : issue de la loi de réforme de 2010, l'idée de partager et non de distribuer définitivement les compétences Etat, Régions, Départements et collectivités locales devrait permettre, dans chaque région, d'expérimenter des formes de décentralisation adaptées aux contextes locaux ; les partenaires pourraient opter pour des formes de partage de compétences adossées à des fonctions culturelles, à des secteurs culturels ou encore à des types de territoires.

 

Schématiquement proposée ici, cette distinction révèlera des intérêts opératoires évidents lorsqu'il s'agira de reconsidérer l'architecture de la politique culturelle dans un but de cohérence, de réalisation maîtrisée d'économies et d'intégration de la culture dans la stratégie de développement.

 

On l’aura compris, l’idée de territorialisation peut encore porter de multiples espoirs bien que ses formes actuelles semblent avoir déçu certains responsables et techniciens territoriaux.

 

En donnant du relief à cette notion, on pourrait entrevoir des concrétisations nouvelles, si tant est cependant que l'on puisse partager, entre les différents échelons, des définitions communes et que l'on accepte l'idée que la mise en œuvre d'une véritable territorialisation suppose une remise à plat des dispositifs d'aide.

 

Certes complexe, mais passionnante, la démarche de territorialisation n’en est pas moins, en définitive, une occasion de stimuler les services en donnant aux agents des collectivités une marge de créativité, d’investissement personnel et le sentiment qu’il est possible de faire « avancer les choses » dans cette période de raréfaction des crédits.

 

Pour cela, différentes formes d’accompagnement des services peuvent être envisagées.